Le Poil Publien
Fut un temps, les bordels poussaient à Paris comme des champignons en forêt. Les plaisirs de la chair y battaient leur plein et les hommes, pauvres âmes en déroute, y trouvaient compagnie, réconfort et, le plus souvent, maladies vénériennes. Le bordel le plus en vogue de l’époque était Le Poil Pubien, un établissement de la rue des Saules qu’Yvonne Potache, ancienne propriétaire des lieux, nous raconte :
« D’un point de vue architectural, Le Poil Pubien était un endroit atypique. Pour vous donner un aperçu, les lustres étaient cloués au sol, le parquet ornait les plafonds, les murs penchaient tout de travers et l’entrée se faisait par le toit. L’architecte, un artiste illuminé du 9e arrondissement, confessa s’être adonné à quelques excentricités ; confession à laquelle je souscrivais volontiers à chaque fois que j’utilisais les toilettes installées au sommet du conduit de la cheminée.
Mais là n’était pas l’unique originalité de la maison. Les filles que j’employais contribuèrent à elles seules à la renommée du Poil Pubien. Le rez-de-chaussée, que les clients avaient surnommé le « jardin des plaisirs », était tenu par trois de mes poulettes : Marguerite, Rose et Violette. Ces trois filles étaient d’un format relativement modeste mais d’une technique sexuelle sans pareille. Étant aussi très cultivées, elles déclamaient du Shakespeare pendant l’acte amoureux – ce qui valut à trois de nos habitués d’être reçus à l’agrégation d’anglais.
Le première étage était le domaine d’Antoinette, une jeune prostituée à la plastique lisse et luisante. Ses énormes seins, qui pendaient en lourdes grappes sous sa nuisette de satin, ameutaient tous les pervers du quartier. À chaque fois qu’un client débarquait, il accourait dans sa chambre avec une agitation qui consumait tout son être. Puis, quelques minutes plus tard, il en ressortait le visage ouvert et illuminé. J’appris par la suite qu’Antoinette était en réalité une poupée gonflable. Je compris alors pourquoi elle ne riait jamais à mes blagues et arrêtai aussitôt de lui monter les repas dans sa chambre.
Dans les années 1930, nous connûmes un véritable âge d’or. Le Poil Pubien était devenu l’antre des perversions. Nous accueillions quotidiennement des régiments entiers d’hommes d’affaires, d’étudiants, de politiciens, de poètes, de rupins, de vagabonds, d’illustrateurs, de philosophes, de chefs cuisiniers, de chefs d’orchestre, de chefs de projet marketing, d’astrophysiciens, de clowns, d’esquimaux, de pirates à la retraite, ou encore de chats errants venus assouvir leurs fantasmes les plus fous.
Hélas, en 1946, la loi Marthe-Richard fut votée et Le Poil Pubien dut fermer ses portes. Certaines de mes poulettes fondèrent alors une famille et d’autres fondirent en larmes. Moi, je demeurais seule. Mais dans ma peine, je criais cependant bravo au gouvernement qui, dans un élan proche du génie, réussit à fermer des maisons déjà closes. »
Journal le Chat Noir, novembre 2021