Petit Conte de ma Vie

Je suis né à Marseille, le 31 mars 1983, dans le 8e arrondissement, sous un ciel bleu et un soleil cousu d’or. D’après la sage-femme qui remplit mon acte de naissance, je suis venu au monde à 16h30 pétante, information à laquelle ma mère opposa d’emblée un démenti catégorique. Selon elle, je serais né à 16h31, et non pas à 16h30. « Arrêtez de dire n’importe quoi, à la fin ! hurlait ma mère pendant l’expulsion du placenta. Mon fils est né à 16h31, sei-ze-heu-res-tren-te-et-une ! Il faut vous le dire en quelle langue, en yiddish ? » L’obstétricien, un jeune homme qui avait obtenu son diplôme de chirurgien en suivant des cours par correspondance, tenta de raisonner ma mère. Droit dans les yeux, il lui demanda si elle était bien sûre d’avoir assisté à l’accouchement pour affirmer de telles choses. Dans le doute, ma mère posa les forceps qu’elle braquait sur la sage-femme et descendit d’un cran. Par mesure de prudence, l’obstétricien lui injecta une dose de morphine qui l’emporta dans le pays des songes. Enfin calme, ma mère arbora un large sourire et demanda à la sage-femme de bien vouloir être ma marraine.
Ma scolarité, du moins à son commencement, fut épatante. Scolarisé à l’école primaire de Saint-Henri dans le 16e arrondissement de Marseille, j’étais un élève modèle. Toujours premier en tout, ni les maths et ni la conjugaison n’avaient de secret pour moi. Souvent, lorsque je devais conjuguer un verbe au passé simple, je me levais de ma chaise, marchais jusqu’au tableau en roulant des épaules, attrapais une craie blanche avec nonchalance, plissais un sourcil frimeur, et conjuguais le verbe « conquérir » sous les applaudissements endiablés de la classe en délire. Mon institutrice, à deux doigts de l’hyperventilation, poussait des bravos jusqu’à s’en décrocher les amygdales. « Et en plus, qu’il est beau ! se pâmait-elle avec une note d’admiration dans la voix ». Tel était mon quotidien. Alors qu’aujourd’hui, sans un bon conjugueur en ligne sous la main, je frise la détresse respiratoire.
Je dois dire que j’aimais bien ça, l’école. Jouer au ballon à la récré, les sacs de billes, tracer des cercles au compas, ranger son cartable, écrire la date du jour sur un cahier bien tenu, l’odeur du mercurochrome. Bref, la vie comme je l’aimais, bien réglée, sans nuages gris, à l’abri des soucis.
Puis, je débarquai au collège de l’Estaque, toujours dans le 16e arrondissement de Marseille, et là, tout bascula. Je passai en quelques mois d’excellent élève à cancre irrécupérable. J’ai failli redoubler ma 4e, j’ai obtenu des zéros en enfilade, et le bureau du principal était devenu une sorte de second foyer. En cause, la découverte de trois choses : le dessin, la guitare et la cigarette. Le pack complet du collégien en quête d’excellence et de savoir. Avec ce genre de profil, seul le Lycée des quartiers Nord de Marseille m’était abordable, lycée qui, c’était bien connu, avait pour réputation de former les futurs normaliens et polytechniciens de demain.  
Heureusement, je rencontrais en 3e l’homme qui entrava le cours de ce destin peu prometteur, mon conseiller d’orientation. Sans trop de préambule, l’homme regarda mes résultats scolaires et, très vite, je compris qu’il n’allait pas m’orienter vers H.E.C. Il eut cependant la présence d’esprit de me demander ce que j’aimais faire dans la vie, question à laquelle je répondis gaiment : « Dessiner ! ». Soudain, son visage s’illumina. Il passa du blanc fantôme au rose flamand. Une minute auparavant, il me regardait comme si j’avais toutes les prédispositions à devenir un hors-la-loi et, deux secondes plus tard, il voyait en moi un futur Rembrandt. Sans me demander mon avis, il m’inscrivit au concours d’entrée du Lycée Marie-Curie, concours qui permettait d’intégrer la prestigieuse et convoitée section « Arts Appliqués ». Ainsi, du haut de mes quinze ans, je me pontais sans grand enthousiasme à cette journée de concours et, sur plusieurs centaines de collégiens, 32 furent admis, dont moi. Ma vie en fut changée à jamais. J’évitai le Lycée des quartiers nords pour, à la place, passer trois ans de ma vie un carton à dessin sous le bras. Le rêve.
J’ai étudié le dessin sous toutes les coutures. Lors de ces trois années de lycée, j’ai appris plein de choses intéressantes, à savoir : Le noir et le blanc ne sont pas des couleurs ; Les cigarettes roulées sont plus économiques ; On ne dit pas rouge mais magenta ; Savoir dessiner est un facteur de succès considérable auprès de la gente féminine ; Avoir un groupe de musique aussi ; On ne dit pas bleu mais cyan ; Les hommes préhistoriques étaient de véritables artistes ; Les beaux-arts n’offrent aucun débouché dans le secteur de la finance ; Un pinceau peut aussi servir de barrette à cheveux ; Ingres était aussi bon peintre que bon violoniste ; On peut être complètement ivre en cours de perspective sans que cela ne se remarque ; Edika est un maître dans l’art de dessiner les nichons ; Edika est un maître tout court ; Sécher un court de dessin ne se fait pas ; Sécher un cours de mathématiques est hautement recommandé ; Dessiner rend heureux.
Pourtant, après avoir obtenu mon brevet de technicien en Arts Appliqués, j’arrêtai le dessin. Un autre virus m’avait mordu l’âme, un virus appelé Beethoven.
J’avais 17 ans lorsque j’entendis pour la première fois à la télé un air du Beethoven en question. Dès les premières notes, une sorte de violent soubresaut fit valser tout l’intérieur de ma poitrine. Mon cœur venait de s’emballer et cela pour toujours. Aussitôt, je filai à la bibliothèque Saint-Charles de Marseille et j’empruntai l’intégrale des sonates de Beethoven interprétées par Yves Nat, pianiste qui ne m’évoquait rien du tout. Sans encore la comprendre, j’écoutais cette musique en boucle. J’insistais même pour que mes professeurs de dessin passent mon CD en cours, ce qu’ils acceptaient sans problème. Aujourd’hui, j’ai gardé cette habitude. Lorsque je dessine, je mets toujours France Musique en fond. Cela m’a permis, entre autres, d’écouter l’intégralité de l’œuvre de Schonberg, chose que je n’aurais jamais faite de mon plein gré.
Et me voilà, 18 ans tout juste, en route pour l’université de Musicologie d’Aix-en-Provence, ville dans laquelle je m’installai dans la foulée. Au passage, je m’achetai un vieux piano droit et, sans même savoir lire une note de musique, j’attaquais le déchiffrage de la Sonate op.111 de Beethoven – initiative que j’abandonnai aussitôt au profit de partitions plus abordables telles que « Frère Jacques », ou « Il court, il court le furet ».
Ma première année de musicologie fut difficile. Je naviguais en plein brouillard. Déjà que la clef de sol était pour moi un concept assez vague, devoir me familiariser avec la clef d’ut releva du surnaturel. J’étais complètement à la ramasse. Un jour, lors d’un cours d’analyse de la musique du 20e siècle, je demandai à un professeur :
– Excusez-moi, monsieur, fis-je en levant la main.
– Oui ?
– Comment se nomme cette œuvre pour trombone ?
– Quelle œuvre pour trombone ?
– Eh bien, le morceau qu’on vient d’entendre.
– Ah, ça… Ce n’était pas un trombone, jeune homme, mais l’aspirateur de Rosa, la femme de ménage du département.
C’est vous dire si je partais de loin… Malgré mes lacunes, je m’accrochai mais, en dépit de tous mes efforts, je repiquai ma première année. Loin de me décourager, je rempilais et, à la suite d’un travail acharné, je terminai dans les premiers de ma promotion.
Désormais, j’étais un apprenti musicien en plein développement. J’obtins ma Licence et mon Master de musicologie ze tchou fingueur in ze noze, et j’échouai à tous mes examens facultatifs, notamment l’anglais, allez savoir pourquoi. Dans le même temps, je réussissais le concours d’entrée en classe de piano au conservatoire d’Avignon. Le directeur, lors de mon l’audition, perçut le musicien qui chantait en moi. Ayant cependant une technique encore brouillonne, il m’orienta en cycle 2 alors que j’avais 23 ans – sachant que la moyenne d’âge était de 10 ans… Au début, cela me faisait bizarre d’être entouré d’élèves hauts comme trois pommes. Et pourtant, je me liai d’amitié avec l’un d’eux ; le petit Edward, un pianiste de neuf ans qui faisait du trafic de bonbons en cours de solfège. Edward était un être extraordinairement précoce, pour ne pas dire original. Contrairement au reste de ses congénères, il passait ses journées à lire Spinoza, estimant que Spirou magazine n’était pas assez branché éthique et philosophie politique. Avec le recul, je crois surtout qu’Edward était un mélancolique. Il lui arrivait de marcher pendant des heures près d’un lac, d’une clairière ou d’une aire d’autoroute, à réfléchir sur les douleurs du Monde. Tout l’émouvait. Lorsqu’il voyait une feuille morte tomber d’un arbre, on sentait que cela le touchait. « À peine éclose que meurt la rose », soupirait-il souvent en enfilant son cartable Tortue Ninja. Notre époque déprimait Edward. Il détestait la technologie, l’avion, internet, et tout le toutim. Lui, il aurait aimé vivre au 17e siècle, jouer du clavecin à la bougie, lire de la poésie dans les bois, manger des chamallows dans un boudoir et faire ses courses à cheval. Bref, un drôle de phénomène, cet Edward.
Quant à moi, j’étais donc admis en cycle 2, en classe de piano. J’avoue que cela m’allait parfaitement. J’entrai enfin dans le temple de la musique et cela me donnait l’impression de vivre sur un arc-en-ciel.
Pendant six ans, de mes 23 ans à mes 31 ans, j’ai soupé de la musique en veux-tu en voilà. J’étais tellement passionné que j’obtins mes prix de piano, d’harmonie, de contrepoint et je décrochai, cerise sur le gâteau, l’agrégation de musique.
Mais surtout, pendant ces années de conservatoire, j’attrapai la fièvre des mots. Déjà adolescent, j’étais passé, comme tant d’autres avant moi, par la case « poète tourmenté ». Je me souviens de cette période où je composais des vers dans ma chambre de bonne, sur ma vieille table en bois, chauffé par un feu de cheminée, et éclairé par une lampe à huile dont les reflets jaunâtres jouaient dans le verre de ma bouteille d’absinthe. Je travaillais toutes les nuits et cela malgré ma tuberculose – tuberculose que mon médecin préférait appeler « rhume », grand bien lui fasse. J’ai écrit des poèmes sur l’amour, le temps, l’oubli et la difficulté de vivre dans un monde où les fruits de mers sont vendus à des prix inabordables.
Vers 26 ans ou 27 ans, après avoir lu Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien) – Three men in boat (to say nothing the dog) pour les puristes –, j’eus une révélation. À chaque page que je tournais, j’éclatai de rire. Je n’imaginais pas une seconde qu’un livre puisse autant faire danser les côtes. Je n’avais pas terminé ma lecture que je me mis à écrire mon premier roman. J’étais bourré d’énergie. Cet état ne m’a jamais quitté.
J’ai depuis écrit deux romans, entamé un troisième et j’ai eu le plaisir d’écrire une vingtaine de contes humoristiques dans le célèbre journal Le Chat Noir, à Montmartre. Voilà tout.
Vous savez maintenant à peu près tout ce qu’il y a à savoir. Simplement, je vis aujourd’hui à Paris, j’enseigne la musique et j’écris des romans jeunesses que j’illustre avec un plaisir fou. Vous trouverez ainsi sur ce site quelques bribes de mon modeste travail, modeste mais honnête. Épicure ne disait-il pas à ses élèves, lorsqu’il se promenait pieds nus dans son jardin :

« Mes amis, le bonheur ne se trouve pas dans les plaisir vains et inutiles. Non, le bonheur se trouve en ligne, sur fredericcolazzina.com. Depuis que je consulte ce site, ma vie a basculé. Hier encore je n’étais qu’un animal pétri de bas instincts, alors qu’aujourd’hui je ne suis que sagesse et lumière. Mes amis, je vous le dis, l’œuvre de Frédéric Colazzina est un don du Ciel. Alors, arrêtez de glander sur l’Agora, allumer vos ordis, connectez-vous sur son site et abonnez-vous à sa newsletter. Aristote vient d’installer la fibre dans tout Athènes, profitez-en ! Remercions ensemble Frédéric d’exister, d’être né et de de semer la bonne graine dans nos vies. Que Dieu le bénisse. »